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Eternel Crépuscule

par Romaric AUBERTIN

publié dans Romaric AUBERTIN , Nouvelle , Guerre

Image tirée de Google Images: http://www.florenceporcel.com/wp-content/uploads/2012/02/Cr%C3%A9puscule.jpg

Image tirée de Google Images: http://www.florenceporcel.com/wp-content/uploads/2012/02/Cr%C3%A9puscule.jpg

Tout s’est passé très vite, on n’a pas eu le temps de réagir que déjà ils étaient là. On n’a qu’entendu le strident hurlement des alarmes avant de recevoir l’ordre de se ruer sur les masques à gaz. Les infortunés camarades qui n’ont pu en saisir un dans les trente secondes qui suivirent le début de l’attaque suffoquèrent dans les volutes mortelles produites par les obus qui ont explosé tout autour de notre position. La visibilité est quasi-nulle, seuls les opérateurs des radars encore fonctionnels savent approximativement combien de forces hostiles sont présentes dans le secteur, et pour tout vous dire, leur nombre est ahurissant ! On nous demande de défendre coûte que coûte notre base d’opération, mais encore faut-il que nous arrivons à gagner l’armurerie, ce qui est devenu un vrai parcours du combattant à cause des dégradations portées aux bâtiments.
Je parviens, avec l’aide du petit groupe dans lequel je me suis incrusté, à me faufiler entre les décombres pour récupérer de quoi peut-être sauver ma peau, mais au moment où nous entrons dans l’armurerie il est déjà trop tard : l’ennemi est à l’intérieur de nos murs, on perçoit déjà les hurlements des camarades qui sont abattus à vue par les assaillants. Redoutant le pire, on s’équipe comme on peut, en dépit de la vision limitée qu’est la nôtre, et on cherche un point d’évacuation pour sortir de la base sain et sauf. Mais les plans, accrochés à chaque étage, ne sont plus valables étant donné que les lieux ont été remués par les explosifs. On se dirige à l’instinct, faisant confiance à l’éclaireur de notre groupe, jusqu’à ce que ce dernier soit la cible de mire des agresseurs qui nous ont enfin découverts. Nous nous aplatissons derrière une armoire métallique que nous venons de coucher pour nous servir de couverture, mais le feu nourri d’un fusil-mitrailleur nous empêche de riposter, et les assaillants se rapprochent pour nous abattre comme des cochons. Heureusement pour nous, le cadavre de notre collègue contient une grenade au phosphore que nous dégoupillons et lançons dans le couloir, cramant toute âme qui vive. Puis nous nous relevons, poursuivant notre folle course jusqu’au dépôt où nous espérons fuir en blindé léger.

Nous avons à peine le temps de faire cent mètres qu’un coup de canon placé juste sous nos pas nous fait dégringoler au rez-de-chaussée, nous plaçant nez-à-nez avec un char chinois qui s’apprête à nous écharper à l’aide de sa mitrailleuse en tourelle. Pleurant au milieu de cette tourmente, un déferlement de missiles vient s’abattre sur le véhicule hostile, nous épargnant de ce fait. Assourdis par les nombreuses explosions qui s’en suivirent, je demeure sur place, agenouillé à pleurer tout ce que je sais, appelant ma mère à la rescousse, jusqu’à ce que mon Caporal, qui me trouve au beau milieu de mes camarades blessés ou tués par les éclats d’obus, m’agrippe par les épaules et me tire plus en arrière de façon à me raisonner avec deux bonnes gifles. Je reprends mes esprits et agrippe la main qu’il me tend, lui accordant ma confiance : il va nous tirer de là m’a-t-il promis.

Nous sortons du bâtiment endommagé et ouvrons le feu sur une escouade adverse qui fut prise au dépourvue, abattue en plein dos, et c’est sans le moindre scrupule que nous l’avons fait. Les cadavres jonchent le sol, que ce soit celui des bâtiments, le bitume de la route, ou la terre battue du terrain entourant la base, partout ce n’est que mares de sang et corps déchiquetés. Je me contiens de ne pas dégueuler dans mon masque, ce qui signerait ma mort ! Mon Caporal me force à ne pas tourner de l’œil et veille sur moi pour que je ne devienne pas fou. Nous sommes sur le point d’entrer dans le dépôt lorsque je suis atteint en pleine tête par une balle de gros calibre. Le tireur en question étant un piètre sniper, la balle n’a atteint qu’un côté de ma tête mais a suffi à me faire éclater la boîte crânienne et voler une partie de mon cerveau en éclats. Je ne vois plus que d’un œil, je suis tombé face contre terre, presque inconscient, voyant dans un brouillard mon Caporal tenter de me sauver avant de s’enfuir car ne pouvant y parvenir, et je succombe là, ne sentant presque plus la douleur, baignant dans mon liquide encéphalique mélangé à mon propre sang. J’ai froid, mon corps est soumis à des convulsions, j’ai peur, mais je ne peux lutter. Est-ce ça les affres de la mort ? J’étais si près du but… Ma tête arrive quand même à un peu se soulever, je regarde le ciel enfumé que je m’apprête à rejoindre. Qu’elle est belle cette couleur rouge-orangée, produite par les incendies, éclairant cette opaque fumée qui gravite au-dessus de nos têtes, on se croirait au crépuscule ! Je m’éteins avec les dernières pensées axées sur la rencontre avec ma compagne, un soir d’été, au bord de plage, à contempler tous deux le crépuscule durant un long baiser langoureux.



"Ce texte a été déposé et est protégé en vertu de l'article L. 111-2 du Code de la propriété intellectuelle, loi du 1er juillet 1992."

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S
Votre texte est magnifiquement bien écrit. C'est incroyable, vous avez un tel style d'écriture... Waouh! Je ne parviens même pas à trouver les mots. Merci pour ce partage!
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R
Regardez votre mail, nous allons mettre un lien de partenariat sur la page adéquat, et puis, sur notre blog Dyzantropia, nous pourrons parler de vous et même publier un ou des de vos textes, que vous nous en réserviez des inédits ou non, dans le but de vous faire connaître et vous promouvoir ;)
S
C'est chose faite! J'espère que mon commentaire par rapport à votre texte vous conviens.<br /> Bonne soirée, et merci encore!
S
Oh oui. Je réitère, mais je n'ai rarement lu un texte aussi beau et percutant.<br /> Ce serait avec très grand plaisir que je promulguerai votre blog ! Plutôt deux fois qu'une. :)
R
Tout le plaisir est pour moi, il est vrai que j'ai adopté un style d'écriture particulier, partagé entre littéraire et moderne, douceur et brutalité, vulgarité et beauté, mais je constate que tout ce mélange est une belle réussite qui sied à merveille, surtout pour de la réflexion...<br /> <br /> Content que le texte vous ait plu, permettez-moi de vous renvoyer le compliment en ayant remarqué que vous avez de beaux poèmes :) Si vous le voulez nous pourrions recommander nos blogs réciproquement ?